Qu’est ce que la phytothérapie ?
Quelle place pour les plantes au 21ème siècle ?
Est-il utopique, démodé, voire même raisonnable d’utiliser les plantes, comme le faisaient nos ancêtres, pour se soigner au 21ème siècle, alors que nous possédons tant de médicaments efficaces et innovants ? Que possèdent-elles de plus ou de moins que ces médicaments ? Sont-elles tombées en désuétude ou au contraire sont-elles plus en vogue que jamais ?
Voici des questions que vous vous êtes peut-être déjà posées. Avec l’essor de la chimie moderne, on a effectivement pu constater au cours de l’histoire une baisse du recours aux plantes médicinales au profit des médicaments de synthèse qui peuvent être moins chers, et plus faciles à produire.
Au Chemin de la Nature, on vous parle souvent de la meilleure façon d’utiliser les plantes sauvages, en cuisine ou en remède. Il est temps d’approfondir un peu ! Mais comme aucun sujet n’est simple, au cours des prochaines semaines nous vous proposerons une série d’articles afin de vous permettre de découvrir ce que sont la phytothérapie et l’herboristerie. Vous y découvrirez les grandes lignes de l’histoire de l’usage des plantes, notre définition de ces disciplines, des réflexions autour de la phytothérapie dans d’autres pays du monde, et quelques astuces pour utiliser vous même les plantes sans danger.
Histoire de la phytothérapie en bref
Les premières traces d’usages des plantes
Compte tenu des données archéologiques à notre disposition, il est raisonnable de penser que l’être humain se soit toujours intéressé aux plantes. D’une part, dans le but de se nourrir (plantes comestibles et poisons de flèches pour la chasse) et d’autre part pour se soigner (plantes médicinales) comme en témoignent les vestiges laissés par les hommes à cette époque : peintures de grotte, poteries…
Ce n’est cependant qu’après la naissance de l’écriture, et grâce au développement du papier ou du parchemin que l’on est en mesure de documenter des usages précis dans le temps. Les premiers écrits remonteraient jusqu’à 5000 avant Jésus Christ, avec notamment la tablette sumérienne de Nippur, qui mentionnait une douzaine de recettes et plus de 250 plantes différentes, dont le pavot à opium (1). Le premier traité médical majeur proviendrait de Chine en 2500 av. J.C. Il s’agit du “Shennong bencao jing” dont l’origine est attribuée à Shennong, un empereur mythique qui aurait vécu à cette période. Si les origines de ce texte sont sujettes à débat, les premières traces écrites retrouvées sur les usages des plantes ont donc déjà plusieurs millénaires.
Le papyrus d’Ebers daté de 1500 av. JC est considéré comme le plus ancien traité de prescription médicale et mentionne plusieurs centaines de recettes, à base de plantes, de minéraux ou de parties d’animaux. A cette même période, des traces d’usages de plantes médicinales sont retrouvés dans les védas de la tradition indienne.
Depuis, plusieurs étapes et personnages ont marqué l’histoire de l’usage des plantes médicinales, et vous pouvez retrouver quelques figures et événements clés sur cette frise chronologique (2,3) :
Les Plantes durant l’Antiquité
Durant cette période, plusieurs figures emblématiques de la Grèce antique se distinguent : Hippocrate (460-377 av. JC) réalise des observations cliniques avec plus de 380 plantes médicinales (4), le botaniste Théophraste (372-287 av. JC) (5) nomme environ 500 plantes et réalise les premières expériences de toxicité, Aristote (384-322 av. JC) théorise la notion de totum des plantes qui deviendra ensuite LE principe fondamental de la phytothérapie.
Cette notion implique que chaque partie ou organe d’un être vivant n’est pas seulement qu’une partie ou qu’un organe mais que c’est un élément essentiel et indispensable de l’organisme, d’un tout, dont nous reparlerons ultérieurement. Enfin, l’herboriste grec Dioscoride (20-90) rédige la première matière médicale, qui recense plus de 500 espèces de plantes médicinales dont les famille des Lamiaceae (lamiers…), des Fabaceae (anciennement Papilionaceae), des Apiaceae (berce, carotte sauvage…) et des Asteraceae (marguerites, pissenlits…) (5).
C’est aussi pendant cette période que Celse (20-90), Pline l’Ancien (23-79) ou encore Galien (129-201) considéré comme le père de la pharmacie s’intéressent aux plantes (1–3).
Les Plantes au Moyen Age
Au Moyen-Age en Europe, la connaissance des plantes est l’apanage des moines et de l’Eglise. Certaines figures se distinguent par leurs contributions littéraires, comme Hildegarde de Bingen (1098-1179), auteure de plusieurs ouvrages sur les propriétés des plantes médicinales.
Dans le reste du monde, les premières écoles de médecine voient le jour, et les grandes civilisations développent leur tradition de phytothérapie (civilisations chinoise, maya, inca, aztèque…). C’est aussi à cette période que se développe le commerce entre l’Europe, le Moyen orient, l’Inde et l’Asie ce qui amplifie les découvertes et facilite les échanges de plantes entre pays. Parmi les personnages qui se sont illustrés à cette période, on peut citer des figures comme Avicenne (980-1037), un médecin Perse qui fonda l’école de médecine d’Ispahan, ou Ibn Al-Baytar (1197-1298), auteur d’un “Traité des simples” regroupant 1 400 plantes médicinales (6). Parmi les grandes innovations de cette époque, on doit par exemple au Moyen Orient les procédés de distillation en alambics.
Les Plantes des Temps Modernes
En 1492, la découverte du continent américain marque une véritable accélération de la pratique de la médecine et de la phytothérapie ! Les grands voyages, marqués par la découverte de nouvelles terres vont de paire avec la découverte de nouvelles plantes comme l’écorce de quinquina, le bois de gaïac…
La route des épices vers l’Orient permet aussi de nombreuses découvertes : gingembre, cardamome, noix de muscade, curcuma…
C’est à cette époque que vit Aurélien Théophraste Bombast von Hohenheim, alias Paracelse (1493-1541), l’illustre médecin suisse à qui l’on attribue la célèbre citation : “ Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison”, et que l’on considère comme “le père de la toxicologie”.
A cette période, les échanges de plantes et de pratiques avec d’autres continents se mettent en place, la botanique est en plein essor : c’est à cette époque que Carl von Linné (1707-1778) établit le système de nomenclature binomiale (à deux noms). Cette innovation permet d’affiner la classification et de donner enfin un langage universel aux botanistes, herboristes et pharmaciens de tous les pays. Plus question de se tromper de plante lorsque l’on parle tous la même langue !
En 1778, le premier diplôme d’herboriste est décerné à Paris et le premier codex français voit le jour en 1818. Cet ouvrage peut être considéré comme l’ancêtre de la pharmacopée, puisque les éditions de ce dernier se sont succédées jusqu’à la parution de la dernière édition de la Pharmacopée Européenne (2,3).
Les Plantes de nos Jours
A partir du 19ème siècle, la phytothérapie prend un virage à 180 degrés puisque l’apparition de la chimie moderne permet l’identification et la caractérisation des substances actives présentes dans les plantes. L’extraction de principes actifs devient également très performante et permet ainsi l’isolement de la morphine à partir du pavot en 1815 ou à la purification de la quinine à partir de l’écorce de quinquina en 1820.
Les premières molécules de synthèse voient le jour dès 1899, avec la synthèse complète de l’aspirine par Bayer (7). Les activités de synthèse (la fabrication artificielle d’une molécule en laboratoire) et d’extraction sont toujours très actives de nos jours et sont à l’origine de presque tous nos médicaments.
A titre d’exemple, entre 1981 et 2014, si l’on regarde d’où proviennent les molécules composant les médicaments commercialisés, on se rend compte que (8) :
- 42% des molécules ont une structure présente dans la nature, directement extraite ou reproduite à l’identique.
- 25% des structures de ces molécules n’existent pas dans la nature, mais sont inspirées par des molécules naturelles.
- 27% de ces molécules ont une structure qui n’existe pas dans la nature et qui n’en n’est pas inspirée.
La médecine actuelle découle donc d’une longue tradition autour de l’usage des plantes, à toutes les époques et dans toutes les civilisations.
Alimentaires, textiles, médicinales, aromatiques, les plantes sont au centre des civilisations humaines.
Bien que leur usage traditionnel ait fait place à un usage plus rationnel et plus encadré, est-il possible de réconcilier ce passé empirique à nos connaissances récentes, issues de la recherche scientifique ?
Voilà l’ambition du Chemin de la Nature.
Au travers de la découverte de la botanique, de la cueillette des plantes sauvages et de leurs usages, c’est un pan de notre histoire que nous perpétuons, tout en le remettant au goût du jour, à la lumière des découvertes scientifiques récentes.
Dans le prochain article, vous découvrirez les différences entre la phytothérapie et l’herboristerie, ainsi que les grands principes de base de ces deux domaines.
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A très vite !
Sources
1. Petrovska, B. B. Historical review of medicinal plants’ usage. Pharmacogn. Rev. 6, 1–5 (2012).
2. Morel, J.-M. Traité pratique de Phytothérapie, Aromathérapie, Gemmothérapie. Grancher (2017).
3. Wichtl, M. & Anton, R. Plantes thérapeutiques : Tradition, pratique officinale, science et thérapeutique. Lavoisier Tec & Doc (2003).
4. Nutton, V., Boureau, A., Desgranges, M., Vidal-Naquet, P. & Hasnaoui, A. La Médecine antique. Les Belles Lettres (2016).
5. Théophraste. Recherches sur les plantes. Tome I : Livres I – II. Les Belles Lettres (2003).
6. Cabo Gonzalez, A. M. & Lanly, C. Ibn al-Baytār et ses apports à la botanique et à la pharmacologie dans le Kitāb al-Ğāmï. Médiévales 16, 23–39 (1997).
7. Faye, L. & Champey, Y. Plantes, médicaments et génétique – Quelles applications pour demain ? médecine/sciences 24, 939–946 (2008).
8. Newman, D. J. & Cragg, G. M. Natural Products as Sources of New Drugs from 1981 to 2014. J. Nat. Prod. 79, 629–661 (2016).