Guerre et plantes sauvages

Le 11 novembre est une date historique : elle marque la signature de l’Armistice de la Première Guerre Mondiale. Dans cet article, nous souhaitions revenir sur l’importance de la cueillette des plantes sauvages en temps de guerre. Un petit éclairage qui pourrait nous inspirer en ces périodes troublées de confinement !

Rationnement et plantes sauvages

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, de nombreuses routes maritimes d’approvisionnement sont bloquées par les vaisseaux ennemis. Une seule solution pour les pays en guerre : subvenir à leurs propres besoins et devenir autarciques. C’est d’autant plus difficile pour les pays dont les denrées proviennent déjà en grande partie de l’extérieur, comme l’Angleterre. De nombreuses denrées exotiques venaient en effet d’autres régions du Commonwealth. (1)

Pour limiter la pénurie et les mouvements de panique, le gouvernement ordonne très rapidement le rapatriement de toutes les denrées en transit. Il met très rapidement en place des hangars nationaux dans plusieurs points stratégiques du pays, ainsi qu’un système de rationnement bien rodé. Pendant la guerre, le rationnement s’imposait donc comme la solution la plus équitable et la plus sûre.

Affiche guerre mondiale rationnement
"Le rationnement signifie une part équitable pour chacun d'entre nous"

On a vu en 2020 ce que pouvait donner un mouvement de masse à l’annonce d’un confinement, sur des denrées comme les œufs, la farine, ou le… papier toilette. Ce dernier item est apparemment considéré dans nos pays développés comme un produit de première nécessité digne d’être stocké en masse !

L’astuce nature en cas de pénurie de papier toilette : utiliser une douce feuille de bardane et de l’eau ! C’est écolo, et ça se dégrade bien dans la nature !

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Les rations de la Deuxième Guerre Mondiale étaient calculées à partir d’études scientifiques sur cobayes humains volontaires, menées par le Conseil de la recherche médicale. Le Gouvernement britannique en profite en 1940 pour réformer la diète nationale. Ils déterminent que pour rester en bonne santé, il faut consommer chaque semaine l’équivalent de 340 g de pain, 57 g de flocons d’avoine, 453 g de patate, 28 g de graisse, 170 g de légumes, 34 cL de lait. La ration initiale par semaine et par habitant comporte donc 113g de beurre, 340g de sucre et 113g de bacon/jambon. Aux habitants de compléter avec les ressources non rationnées et à portée de main.

La France ne fait pas exception et la Seconde Guerre Mondiale est une période au cours de laquelle beaucoup d’ouvrages ont été publiés, dont des “best-sellers”, tels que “Comment se nourrir au temps des restrictions” (2) ou “Conseils et recettes pour les temps difficiles” (3). Manger à sa faim et manger varié devient un challenge du quotidien et les cuisinières au foyer deviennent rapidement de véritables héros de guerre. Celles et ceux qui ont la chance d’être à la campagne améliorent considérablement leur ordinaire avec des plantes sauvages de toutes sortes.

Quand le jardin et la cuisine deviennent le nouveau front

“Les restrictions alimentaires que nous subissons actuellement sont sévères. Elles transforment totalement nos habitudes gastronomiques. Dans les grandes villes, à Paris en particulier, il devient extrêmement difficile de se nourrir suffisamment. (…) Pour réussir, un minimum de bagage scientifique est indispensable. Les notions élémentaires de nécessités vitales, de calories, de vitamines, qui paraissent, de loin, rébarbatives à bien des femmes, sont trop importantes pour qu’elles refusent de faire l’effort de s’y intéresser quelques instants.” – Extrait de l’introduction “Comment se nourrir au temps des restrictions”

Dans toute l’Europe et en particulier pendant la Seconde Guerre Mondiale, les gouvernements deviennent de véritables machines de guerre de propagande. On lance des campagnes de sensibilisation massives, tantôt sur la lutte contre le gaspillage que sur l’appel au retour à la terre. La campagne la plus connue à travers le monde est probablement “Dig for Victory” (creusez pour la Victoire), pendant laquelle toutes les parcelles de terre d’Angleterre (jardins d’ornement, parcs…) sont transformées en lots cultivables (3).

dig for victory affiche propagande
"Creusez pour la victoire" - affiche de prppagande pour une campagne de retour à la terre pendant la deuxième guerre mondiale

Chaque lot est attribué à des familles, dont les membres sont formés à la culture. On encourage chaque citoyen à cultiver sur ses balconnières ou dans ses jardinets. Cette période marque peut être le début des premières cultures urbaines hors sol !
Des flyers éducatifs sur la culture, la cuisine de guerre et l’autarcie alimentaire sont distribués en masse, des formations sont organisées… Rien n’est laissé au hasard pour redonner à chaque citoyen les connaissances qui lui permettront de contribuer à l’effort de guerre en nourrissant son pays.

cuisine de la stellaire 1944
Flyer d'instructions pour la cuisine de la stellaire - Nos légumes et fruits sauvages. La Haye: Bureau d'information du Conseil de la nutrition; 1944.

L’industrie alimentaire s’organise également : c’est à cette époque que l’agriculture est totalement rationnalisée. Les parasites ou ravageurs ne sont plus seulement synonyme de pertes économiques, c’est une question de vie ou de mort de protéger les cultures du pays. Tous les grands développements de l’agriculture moderne ont été théorisés, mis en pratique et éprouvés à partir des grandes guerres mondiales.

Cueillettes nationales et conservation

Lorsque les rationnements se font plus stricts, des campagnes de cueillette sont organisées, pour récolter les baies et les fruits sauvages. Des ateliers de mise en conserve collectifs sont mis en place dans les villages, afin que chacun puisse bénéficier de fruits toute l’année. Ces mesures permettent dans une certaine mesure d’éviter des crises sanitaires comme un déficit de vitamine C dans la population.
On prépare ainsi massivement sirops et confitures d’églantines sauvages, qui contiennent 10 fois plus de vitamine C que les oranges importées à poids égal. Il en reste même après la cuisson !

Poster anti-gaspillage
Affiche de propagande : "Préparez-vous à l'hiver"

En campagne, les orties sont toujours très populaires. Elles sont non seulement riches en minéraux et en protéines complètes (c’est-à-dire qu’elles contiennent tous les acides aminés essentiels que nous ne sommes pas capables de produire nous même), mais leurs fibres permettent également de produire des textiles résistants. Aux Pays-Bas, on encourage les citoyens à ramasser les glands, les faines, les châtaignes...

affiche pour le ramassage des glands
Pamphlet encourageant les citoyens à récolter glands, faines et châtaignes - Wijga J. Verzamel - 1944

Le saviez-vous ? Certaines sources affirment que pendant la Pemière Guerre Mondiale, une partie des uniformes allemands étaient réalisés à base de fibre d’ortie (4) pour remplacer les fibres de coton, en raison de la pénurie de production textile à cette époque. Nous n’avons pas pu retrouver de source originale pour cette affirmation, mais des études récentes suggèrent que la fibre d’ortie a effectivement toutes les qualités mécaniques requises pour servir dans la production textile. Un tissu d’avenir ? (5)

Les plantes sauvages médicinales sont également collectées et redistribuées pour alimenter les dispensaires, à court de médicaments. On utilise ainsi les feuilles de belladone comme narcotique ou sédatif. Les racines de pissenlit sont collectées comme toniques et diurétiques. Les feuilles et les graines de digitale sont utilisées comme stimulant cardiaque. Les rhizomes de fougère-mâle sont utilisés contre les vers intestinaux pour le bétail. Les sphaignes et les mousses deviennent des substituts absorbants pour les bandages…

En remplacement des huiles d’arachide, d’olive ou autres produits exotiques, on retrouve des recettes telles que l’huile de lichen :

“Achetez chez le pharmacien ou chez l’herboriste du lichen blanc. Prélevez sur votre achat 10 g pour un demi-litre d’eau, mettez-les dans un sachet de gaze (mettez également dans l’eau un morceau de pain pour enlever le goût particulier du lichen). Après un quart d’heure de bouillon, retirez du feu. Quand le sachet est un peu refroidi, pressez-le fortement pour en exprimer dans l’eau toute la matière grasse. (2)”

Grâce à des infusions de menthe, de tilleul, de verveine ou de feuilles de fraisiers séchées, on pallie à l’absence de thé. Les glands, les racines de chicorée, de pissenlit ou l’avoine grillé deviennent des substituts au café.

Face à la pénurie de poivre et d’oignons qui étaient importés en Angleterre, on démultiplie les recettes à base de plantes sauvages aromatiques : thym, origan sauvage, sauge, persil, menthe
Aux Pays-Bas pendant la Seconde Guerre Mondiale, des études ethnobotaniques ont rapporté l’usage de plantes telles que la stellaire, les bulbes de tulipe, le plantain, les baies sauvages (groseilles, myrtilles…). Les plantes les plus fréquemment citées sont l’ortie, la chicorée, le hêtre, le noyer, le châtaignier, les pissenlits, la carotte sauvage… (6)

Même les produits ménagers sont remplacés par des solutions à base de plantes !
On retrouve par exemple cette recette pour nettoyer les ustensiles en émail de la maison en les laissant tremper dans une solution à base de (1) :

50 fleurs de sureau
2 pintes d’eau
1 cuillère à soupe de sel

Et bien sûr l’emploi de la racine de saponaire pour fabriquer ses propres détergents et shampoings naturels.

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Jusqu’à très récemment, les plantes sauvages avaient encore une place de premier plan dans l’alimentation des populations en Europe de l’Est, en temps de guerre ou en temps de paix. Des recherches ethnobotaniques ont permis de recenser au moins 147 espèces de plantes sauvages différentes dans l’alimentation quotidienne pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine, entre 1992 et 1995. En temps de restriction, les plantes sauvages peuvent donc sauver des pays entiers et permettre de limiter les carences alimentaires ! Nos prédécesseurs ne manquaient en tout cas pas d’imagination pour les accommoder (7,8).

Mais qui voudrait manger de la “mauvaise herbe” à notre époque ?!

En 2020, à l’ère des supermarchés, des horaires effrénés, la cueillette des plantes sauvages semble être un passe-temps inutile, chronophage et désuet. Pourquoi se fatiguer à cultiver ou cueillir sa nourriture lorsqu’on peut l’acheter dans un supermarché ?
80% de la population vivant en milieu urbain, cela semble utopique de penser revenir à un système où chaque personne cultive sa propre nourriture. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une forêt, un champ, un jardin ou même un balcon à portée de main. Mais l’histoire nous a montré que la majorité des produits du quotidien a son équivalent sauvage ou cultivé !

citation une mauvaise herbe est une plante dont on a pas encore trouvé les vertus

En attendant, nous sommes convaincus que les plantes sauvages sont un complément intéressant à notre alimentation quotidienne. Du point de vue de leur qualité nutritionnelle, aussi bien que pour varier les goûts et les textures que nous avons l’habitude de manger.
La plupart des plantes sauvages poussent spontanément et en abondance. Il suffit donc de savoir les identifier et les cueillir. Leur cueillette, contrairement aux idées reçues ne prend pas forcément énormément de temps lorsqu’on sait où elles poussent et quelle est leur saison optimale.

Ainsi, par bien des aspects, nos prédécesseurs ayant vécu la guerre ont encore quelques leçons à nous apprendre sur ces questions d’actualité : économie de ressources, gestion alimentaire… regarder le passé peut nous aider à appréhender le futur !

La nourriture est une arme affiche
"La nourriture est une arme, ne la gaspillez pas" - Affiche anglaise pendant la deuxième guerre mondiale.

Consommer des plantes sauvages, c’est aussi une façon de consommer plus local, de la nourriture peu transformée et non cultivée, c’est-à-dire sans engrais ou pesticides. A condition évidemment de ne pas cueillir à proximité d’une zone polluée.

Bien entendu, la cueillette sauvage comporte des risques, dont nous vous encourageons à prendre conscience avant de vous lancer ! Découvrez nos formations en ligne pour apprendre à votre tour à cueillir et utiliser les plantes sauvages comestibles et médicinales.

Enfin, certaines personnes objecteront qu’il faut laisser les plantes sauvages pousser pour préserver l’environnement. Cette affirmation sera prochainement discutée dans un autre article !

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Références :

1. Davies, J. The Wartime Kitchen and Garden. (BBC Books, 1993)
2. Francisque-Gay, B. Comment se nourrir au temps des restrictions: Principes généraux et recettes. (FeniXX réédition numérique, 1941).
3. Way, T. The Wartime Garden: Digging for Victory. (Bloomsbury Publishing, 2015).
4. de Montard, G., 1921. L’utilisation de l’ortie dioïque en Allemagne pendant la guerre. J. Agric. Prat.36, 432–434.
5. Bacci, L., Baronti, S., Predieri, S. & di Virgilio, N. Fiber yield and quality of fiber nettle (Urtica dioica L.) cultivated in Italy. Industrial Crops and Products 29, 480–484 (2009).
6. Vorstenbosch, T., de Zwarte, I., Duistermaat, L. & van Andel, T. Famine food of vegetal origin consumed in the Netherlands during World War II. J Ethnobiology Ethnomedicine 13, 63 (2017).
7. Redzic, S. J. Wild Edible Plants and Their Traditional Use in the Human Nutrition in Bosnia‐Herzegovina. Ecology of Food and Nutrition 45, 189–232 (2006).
8. Redžić, S. & Ferrier, J. The Use of Wild Plants for Human Nutrition During a War: Eastern Bosnia (Western Balkans). in Ethnobotany and Biocultural Diversities in the Balkans: Perspectives on Sustainable Rural Development and Reconciliation (eds. Pieroni, A. & Quave, C. L.) 149–182 (Springer, 2014). doi:10.1007/978-1-4939-1492-0_9.

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